Réflexions de voyage : Changer de regard

Chacun de mes voyages vient me questionner…Si je devais trouver un point commun à tous ces questionnements, il s’agirait du REGARD. Quand je parle de regard, je l’entends au sens large des perceptions.
Comment percevons-nous ce qui nous entoure et surtout comment allons-nous l’interpréter ?

Souvent trop rapidement, sans même s’en apercevoir …

Ce qui est drôle, c’est qu’à l’instant même où j’écris ces lignes, dans le bus qui nous mène à Bako, quelqu’un rote, de façon bruyante, derrière moi. Une moue de dégoût se lit certainement sur mon visage…. Pourtant, dans certaines cultures, le rôt est un signe de reconnaissance envers la cuisinière et le repas offert.

Déshabituer notre regard pour regarder différemment,

le regard du jeune enfant qui observe, découvre sans juger,

le regard de l’ingénu ou du Martien qui découvrirait une nouvelle culture…

Observer sans juger pour découvrir autrement ? Est-ce possible ?

Oui, je le crois ! Est-ce que c’est facile ? Certainement pas !

Il faut parfois tromper notre cerveau pour mieux observer, comme nous pouvons le faire en dessin. Nous tournons le modèle pour le copier plus vraisemblablement sans que notre cerveau n’enraye le processus par la représentation qu’il a de ce qu’il pense devoir dessiner (un oeil doit être un ovale, par exemple).

Il est nécessaire de ralentir pour arriver à capter ce regard-là. Couper avec ses habitudes, pour ne pas voyager avec des oeillères.

Voyager avec des oeillères ? Oui, c’est-à-dire regarder là où on veut vous faire regarder …

des paysages sublimes, des musées ou autres attractions touristiques intéressantes et distrayantes, des boutiques à touristes et des marchés si typiques (mais remplis de touristes ! ). Je l’ai souvent entendu : “j’ai fait la Thailande, le Cambodge, et le Vietnam, et toi t’as fait quoi ?”.

La réponse sera donnée, je n’ai rien “fait”, j’ai suis allée dans certains pays, j’ai tenté de rencontrer des personnes, des cultures, j’ai eu la chance d’observer des paysages sublimes… Malheureusement, trop souvent je les ai survolés, manquant de temps, tenu dans un système touristique trop présent, prisonnière malgré moi parfois de cette représentation du “voyage”. Pourtant, j’ai eu aussi des merveilleux moments de voyages, et ces moments-là vous ne les trouverez dans aucun guide. Danser chez une famille malgache au son envoyé par le groupe électrogène, préparer des petits cônes de riz pour des offrandes avec des Balinaises, se faire vêtir de la tenue de mariage des Bédouins, recevoir un bracelet tissé de son chauffeur, mais surtout partager un moment, peu importe la langue, les mots employés ou la façon de communiquer.

Ce voyage à Bornéo amène une nouvelle vision. Bien sûr, je retrouve ce dépaysement, l’asie dans toute sa splendeur avec les délices de sa cuisine, le sourire des habitants, les forêts tropicales, mais aussi le plastique qui pollue à tout va…et pourtant, certains fondamentaux sont aussi présents que “chez nous” : un smartphone rivé dans la main, des centres commerciaux qui poussent comme des champignons, des enseignes de malbouffe qui abondent de leur nourriture et de leurs déchets les environs, la mode et la consommation à tout va… Le niveau de vie s’est amélioré et je ne peux que m’en réjouir pour tous ces habitants. Peu importe si le voyage en est moins typique ? N’est-ce pas ? Nous ne pouvons nous complaire dans un confort matériel et espérer qu’à côté les régions reculées resteront typiques pour nous dépayser et nous distraire lors de nos misérables petites semaines de vacances.

En revanche, j’ai bien l’impression que les peuples font la même erreur, à la recherche du confort et de l’absence de privation jusque-là trop présente dans les foyers, l’argent nouveau permet de tout acheter, sauf de la qualité. Consommation à outrance, plastique made in china qui viendra grossir les nouveaux continents, malbouffe, et sucre à foison qui étendent l’obésité dès le plus jeune âge.

A ce sujet, un très beau livre de Corinne Sombrun, nous raconte comment l’arrivée du tourisme, de la culture occidentale et de l’argent défigure et modifie une culture en Mongolie. A travers l’histoire personnelle d’une chamane, nous voyons l’évolution, en un temps record, d’une mini-société traditionnelle vers le modernisme, et les dégâts que cela produit.

Tout cela m’amène à continuer à me questionner sur l’ambivalence du voyage : la découverte d’une culture et la modification intrinsèquement liée à la rencontre des cultures..

Mais je constate que la mondialisation ne semble pas apporter beaucoup d’apprentissages avec elle, chaque peuple doit faire ses propres apprentissages. Comme chaque personne doit vivre sa propre expérience pour apprendre quelque chose. Finalement, même en voyage, mes pensées voguent vers l’apprentissage et la formation. Et même si en tant que formatrice, je sais que le rythme de l’apprentissage ne se décrète pas, et qu’il est différent pour chacun, espérons que comme leur développement, leur apprentissage se fera plus rapidement que pour nous.